samedi 28 avril 2012

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mercredi 4 mars 2009

Réflexions sur le mouvement social en cours

en Guadeloupe et en Martinique

Difficile de croire que ce soit un hasard si la grève et le mouvement social ont débuté en Guadeloupe le 20 janvier 2009 jour où l’Amérique, a donné au monde une grande leçon, en désignant son Président. Avec cette élection il n’est plus possible de voir le monde tout à fait de la même façon qu’avant.

Les Guadeloupéens, comme aujourd'hui les Martiniquais, se sont mobilisés en masse pour exprimer un sentiment de ras le bol devant la crise, et la baisse de leur pouvoir d'achat, "la vie chère". Ils se sont aussi mobilisés pour une "demande qualitative" qui traduit une demande de dignité et de plus de responsabilité dans les entreprises les administrations et la vie politique.

Le peuple s’est invité a débarqué à l’improviste et nous dérange écrit Monchoachi, ce poete militant qui demande la continuation du mouvement, « occasion inespérée de construire autre chose, d’appendre à vivre autrement, ... de se retrouver et de se parler ; de parler non seulement de salaires à augmenter, mais de la façon de Nous vivre. » Difficile de résister au lyrisme quand il vise juste.

Seulement la réalité des choses est bien plus pragmatique. Trouver des solutions à cette situation de vie chère n'est pas simple, dans une économie largement artificielle, en situation de crise généralisée. Cette situation ne peut s'expliquer par la seule désignation de "profiteurs", même si ceux ci existent. En outre il sera difficile de trouver une réponse effective à toutes les revendications surtout si dans ce contexte conflictuel les échanges ne répondent pas à ce qui est dit, mais à ce qui est supposé avoir été signifié. Quand les mots perdent leur sens les échanges se croisent sans jamais se rencontrer. La négociation sur les produits et les familles de produits en est un exemple malheureux puisqu’il bloque toute évolution du conflit. Et ce n’est probablement pas la proposition d’une liste unilatérale de 100 produits qui facilitera la reprise du dialogue. Quant à changer la vie, c’est encore plus complexe encore. Les revendications qualitatives ne sont pas faciles à satisfaire immédiatement, car elles nécessitent non seulement des décisions, mais des modifications en profondeur de notre société.

Or plus le conflit va durer plus on observera de réelles difficultés et non de « menues gênes » auxquelles seront confrontés les plus fragiles de notre société, et cela est valable pour les hommes comme pour les entreprises.

De même que l’élection d’Obama a modifié notre vision, de même l’importance de la mobilisation des masses, la parole qui y a été prise à changé la façon dont on doit voir désormais la situation en Martinique et en Guadeloupe. C’est faire injure à la population de la conduire à d’autres sacrifices en croyant qu’il lui faudrait encore du temps pour s’en apercevoir.

Dans l’intérêt de la Martinique et des martiniquais, Il faut donc trouver, à la fois une réponse juste et durable à cette crise insupportable qui frappe un grand nombre, et les voies d’un dialogue social qui puisse se poursuivre au delà de l’épreuve de force actuelle.

Il est de la responsabilité historique de ceux qui sont autour de la table de négociation de proposer ces réponses et les voies d'un dialogue social.

Vivre autrement

Avec le déroulement de la crise sociale, et la libération de la parole des békés saisiront ils l’occasion inespérée de construire autre chose, d’appendre à vivre ensemble autrement ? Le décryptage de l’émission de TV de Canal+ sur « Les derniers maîtres de la Martinique » pourrait paradoxalement y contribuer.

Je pense tout d’abord que lors de cette émission ont été prononcés des propos ignobles sur l’esclavage et le métissage qui ont gravement blessé la quasi totalité des martiniquais. L’on ne peut pas accepter de tels propos racistes.

Je m’associe à tous les martiniquais meurtris et donc aussi à la pétition signée par un grand nombre de membres de la communauté béké « choqués et blessés » par les propos inacceptables qui ont été tenus dans l’émission diffusée

J’ajoute que je suis d’autant plus à l’aise pour m’associer à cette pétition que membre par ma mère de cette communauté béké, j’ai aussi le bonheur d’avoir des neveux, des nièces et une petite fille, métissés, j’ai donc été choqué et blessé dans ma propre famille. Il existe donc des békés un peu à part. J’y reviendrai plus loin.

La télévision est un média redoutable. Monter des images c’est proposer une vision. Cinquante deux minutes ont été choisies, montées et présentées par Canal+, sur plus de cinquante heures de tournage. Cette vision débute par la présence symbolique de quelques békés, avec les officiels lors des funérailles d’Aimé Césaire. (J’y étais, mais dans la foule des anonymes, des sans grades). Le film déroule ensuite une série de séquences soigneusement montées.

Je suis convaincu que les martiniquais parce que ce sont des gens d’une certaine pudeur (on lave notre linge sale en famille), ont été choqués que ce soit un étranger à notre société qui vienne dévoiler devant eux une réalité connue ou soupçonnée et quelque peu tabou. Pour tous ceux qui veulent bien le reconnaître comme dit la sociologue Juliette Sméralda-Hamon dans une chronique dans le France Antilles du samedi 14, le reportage de Canal+ enfonce néanmoins des portes ouvertes. Mais il a révélé au grand jour des pratiques connues, mais qui, montrées à la TV par un journaliste métropolitain, ont fait très mal à ceux qui ont regardé cette émission.

Ce journaliste en était conscient selon son interview (www.fxgpariscaraibe.com/article-27521424.html) « Si ça soulève des passions, c’est probablement parce qu’on appuie là où ça fait mal, parce qu’on s’intéresse à une question un peu tabou. Oui, on s’est intéressé en Martinique aux rapports entre les anciens colons et les anciens esclaves. »

Puisqu’il s’agit du vrai sujet, ne l’esquivons pas. Je crois qu’il faut que le milieu béké au lieu de se crisper accepte d’aller plus loin dans sa tentative actuelle de se rapprocher de tous les martiniquais et pour cela accepte de se dévoiler un peu plus, et montre en quoi il a déjà évolué ces dernières années.

Canal+ et les grands acteurs de la martinique

Le journaliste de Canal+ a expliqué son sujet : «les grands acteurs de l’île. On raconte l’économie de la Martinique à travers cette communauté qui pèse très lourd dans un certain nombre de secteurs comme l’agro-alimentaire, la grande distribution ou l’agriculture».

Il y a dans cette économie racontée de l’île de grands absents, ceux qui relèvent du nouveau pacte colonial. (En particulier les anciens monopoles d'Etat).

Le montage des images est cruel pour ceux qui ont cru manipuler des journalistes alors qu’ils étaient eux même manipulés. Cela est presque trop beau à l’ancien Président des MPI que je suis pour ne pas m’imaginer qu’il y a une maîtrise de l’audiovisuel qui m’en rappelle une autre. Là où dans un autre contexte on aurait admiré la manoeuvre de lobby à l’oeuvre, tout martiniquais a pu voir l’incroyable impudence de certains des membres de la société béké, (cette entrée sans papier à l’Elysée est plus qu’une erreur de casting), une séance à la commission de Bruxelles, où des ministres africains semblent jouer les faire valoir, une courte séquence sur le chlordécone, pour terminer par ces propos qui blessent.

Cette émission a créé une grande émotion. Je l’ai déjà dit l’on ne peut pas accepter des propos racistes, même ceux d’un homme âgé maladroit dans son expression. Il faudrait des gestes forts d’Alain Despointes, plus que des excuses déjà reçues, pour que se calme l’émotion. Peut être pourrait il se doter d’une fondation qui prendrait des initiatives sous diverses formes qui libéreront de nouveaux dynamismes dans la société martiniquaise. J’avais essayé de mobiliser de telles énergies à la SEMAIR. Je ne doute pas qu’une réflexion sera menée.

Evolution du groupe béké aujourd'hui.

La vision du groupe béké, celle des autres et celle qu’il a de lui même est brouillée par l’interaction de deux dynamiques, la dynamique de classe et celle de race.

Nous avions essayé de lever un coin du voile sur ce groupe mon frère et moi en 1998 dans un article intitulé « A quand un Mandela Martiniquais ». Nous avions noté que ce groupe partage bien des éléments culturels à commencer par le créole et le français avec tous les martiniquais. Les codes sociaux permettant de gérer les relations entre ce groupe et tous les autres groupes de la société martiniquaise sont parfaitement reconnus, bien mieux que ne les comprendront jamais un étranger. Reste cependant que c'est un groupe à fondement racial, qui pratique facilement l'exclusion, et c'est là que son fonctionnement pose problème et non en tant que communauté familiale.

Aujourd’hui, en tout cas certainement depuis 1998, exclure pour la seule raison raciale, ne peut plus fonctionner pour l’ensemble du groupe béké. Non seulement le sous groupe familial s’ouvre, mais aussi un bien plus large réseau de relations amicales. C’est la raison pour laquelle une pétition peut être signée par les membres du groupe béké.

Non seulement ces exclusions ont perdu tout leur sens, mais il existe des lieux où hommes et femmes, blancs ou noirs, bref béké ou pas partagent ensemble des moment inoubliables, je veux parler des clubs de bridge qui en sont un bel exemple. Il y en a d'autres.

Il n’y a pas de pensée unique dans le milieu béké.

Pas de pensée ni de situation unique

De même qu’il n’y a pas de pensée unique dans le milieu béké, il y a n’y a pas de situation unique en milieu béké.

Tous les békés ne sont pas de riches propriétaires industriels planteurs ou commerçants.

Le groupe béké est fortement stratifié autour de trois sous groupes. Le premier est l’étroit groupe supérieur constitué de ceux qui se réclament d’un « nom de famille ancienne », d’une « respectabilité », et de la « fortune ». A l’autre extrémité le groupe des békés pauvres dont les familles sont parfois encore plus anciennes. Pourtant certains sont dans une vraie précarité. Ils n’ont pas fait l’objet du film de Canal+. Un groupe intermédiaire le plus nombreux aspire a monter dans la hiérarchie sociale par le revenu ou par le jeu des alliances. Les montées ou les descentes dans la stratification sociale se font par le jeu de récompenses ou de sanctions sociales au sein du groupe.

Un fonctionnement implicite de l’ensemble du groupe béké veut que ceux qui professent des opinions ou adoptent des comportements par trop éloignés de ceux du groupe ou qui refusent d’accepter comme acquise une hiérarchie imposée s’exposent à une exclusion qui si elle est assortie de sanctions économiques peut être très difficile à supporter.

Cependant ceux qui sont ainsi exclus parce qu’ils ont fait une tentative de faire bouger leur groupe de l’intérieur ne trouvent pas forcément une autre place au sein de la société martiniquaise, ou sont renvoyés dans leur groupe d’origine à la première difficulté. Et c’est là toute la complexité de la situation martiniquaise.

Ce qui aurait du permettre au groupe béké de se répartir au sein de la société martiniquaise selon d’autres critères que la mono-couleur, est peut être empêché par la réaction de la société martiniquaise non béké. Que signifie ce refus de les accepter sinon une autre forme d’exclusion?

Cette situation et ces comportements posent donc la question de la place de non pas une mais de deux formes de racisme dans la société martiniquaise d'aujourd'hui et de la nécessité de les combattre par tous les moyens. Il faut en être conscient.

Refusons de constituer un bouc émissaire

Cette émission de Canal+ a généré un véritable désordre dans la société créant un risque de « tous contre tous ». Un mécanisme bien connu a déjà conduit à la désignation d’un « bouc émissaire », qui va détourner l’opposition du « tous contre tous » en une opposition de « tous contre un ».

Ayant très jeune refusé de faire de différences dans le Poitou entre « protestants ou catholiques»; et ici en Martinique entre « noirs ou blancs », j’ai bénéficié dans la société martiniquaise d’une position exceptionnelle pour observer son évolution. J’ai profité de cette liberté, même si j’en ai aussi payé ce prix fort qu’on réserve aux « boucs émissaires ». Je ne regrette rien.

Aussi en ce qui me concerne parce que de tout temps je me suis battu contre le racisme ordinaire, je condamne sans réserve les propos tenus, mais je refuse aussi totalement de m’associer à la constitution d’Alain Despointes en tant que « bouc émissaire ».

On ne peut pas restreindre la vie d’un homme de son âge et vu ce qu’il a créé à la Martinique, à ces seuls propos.

Refusons de nous enfermer dans l’hypocrisie. On ne peut pas justifier les propos tenus, mais on peut les expliquer. Cet homme âgé a toute sa vie vécu dans une idéologie raciale rarement remise en cause, qui reflétait la façon dont a fonctionné le milieu béké, précisément jusqu’à une période récente où il commence tout juste à opérer une timide transformation.

Ceux qui aujourd’hui dans le milieu béké, se désolidarisent à juste titre des propos qu’a tenu Alain Despointes ne peuvent pas accepter de bonne foi de laisser cet homme jouer le rôle de bouc émissaire.

Il est responsable de ses propos. Mais nous sommes tous responsables du racisme ordinaire des nôtres, tant que nous l’avons pas combattu , nous a rappelé Juliette Sméralda, et c’est ce message qu’il faut faire passer dans le dialogue entre nos différentes communautés.

Je sais que les martiniquais comprendront ce que j’ai voulu ici exprimer qui n’a rien à voir avec l’acceptation de propos indignes, même si le temps n’est pas à l’expression des nuances. Il faut parfois du courage pour ramer à contre courant.

On laissera donc la justice se prononcer puisqu’elle est saisie.